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Arrêté « anti-mendicité », quelle légalité ?

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arrêté anti-mendicité

Chaque année, le printemps et l’été sont l’occasion, pour de nombreux maires, de prendre des arrêtés « anti-mendicité » dans l’objectif affiché de protéger l’ordre public (pour un exemple récent, l’arrêté polémique de la Ville d’Angoulême partiellement suspendu par ordonnance du Tribunal administratif de Poitiers).

Une réglementation souvent polémique qui est source d’un abondant contentieux.

Ainsi, la juridiction administrative affine sa jurisprudence chaque année, permettant d’encadrer en droit la pratique des arrêtés anti-mendicité.

L’été 2021 n’a pas renié cette tradition.

La mendicité n’est pas un délit

L’entrée en vigueur du code pénal en 1994 a eu pour effet de supprimer le délit de mendicité et de vagabondage.

La mendicité n’est plus un délit, sauf dans le cas où en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d’un animal dangereux, on sollicite la remise de fonds sur la voie publique (article 312-12-1 du code pénal).

Un tel comportement est puni de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

Autrement dit,  l’encadrement de la mendicité et du vagabondage ne peut passer que par un arrêté de police du maire dans le but de préservation de l’ordre public (article L. 2212-2 CGCT), notamment l’alinéa 2 aux termes duquel le maire est chargé de :

« réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ».

Or, si effectivement, la mendicité ou encore le vagabondage peuvent provoquer des troubles à l’ordre public, tant en raison de l’insécurité liée aux entraves à la libre circulation sur la voie publique ou encore l’atteinte à la salubrité publique générée par les détritus, ou encore la présence d’animaux, il n’en demeure pas moins que l’arrêté de police, susceptible d’être pris, doit être proportionné.

L’arrêté anti-mendicité, une mesure de police nécessairement proportionnée

L’exigence de proportionnalité de la mesure de police administrative est consacrée avec le fameux arrêt Benjamin.

Très logiquement, la jurisprudence administrative exige de l’arrêté anti-mendicité de la proportionnalité.

Le juge administratif sanctionne tout arrêté portant interdiction de « tous comportements constituant une atteinte au droit d’aller et venir » (CAA Bordeaux, 26 avril 1999, n° 97BX01773, Commune de Tarbes).

Autrement dit, l’arrêté anti-mendicité doit être strictement proportionné aux troubles à l’ordre public susceptibles d’être causés :

« Considérant qu’en jugeant que l’arrêté du maire de Prades en date du 30 mai 1996 réglementant notamment la mendicité comportait des dispositions limitées à la période estivale et applicables seulement à certaines voies du centre de l’agglomération et aux abords de certaines grandes surfaces , que ces mesures n’excédaient pas celles que le maire pouvait légalement édicter pour assurer préventivement, en période d’afflux touristique, la sécurité, la commodité et la tranquillité nécessaires aux usagers des voies publiques et que les restrictions imposées, compte tenu de leur limitation dans le temps et dans l’espace, ne soumettent pas les personnes concernées à des contraintes excessives autres que celles qu’impose le respect des objectifs poursuivis , la cour a suffisamment motivé son arrêt ;

Considérant qu’en jugeant que l’arrêté du maire de Prades n’interdit les actes de mendicité que durant la période estivale, du mardi au dimanche, de 9 heures à 20 heures, et dans une zone limitée au centre ville et aux abords de deux grandes surfaces, la cour n’a pas dénaturé les termes de cet arrêté ; qu’elle a pu en déduire, par une exacte qualification juridique des faits et sans erreur de droit, que le maire avait pris une mesure d’interdiction légalement justifiée par les nécessités de l’ordre public ; »

(CE, 9 juillet 2003, n°  229618).

Et, dès lors que la mesure de police mise en œuvre n’est pas proportionnelle à la réalité des risques d’atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, l’arrêté est illégal et est nécessairement annulé par le juge administratif :

– « Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les risques d’atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques étaient de nature à justifier de telles mesures eu égard, d’une part, à la durée dans l’année et à l’étendue dans la ville de ces dernières, alors que n’est établie la présence de groupes d’individus visés par l’arrêté que sur l’un des axes piétonniers et aux alentours de celui-ci et, d’autre part, à la généralité de leurs termes quant à la consommation de boissons alcoolisées et au regroupement de chiens ; que par suite l’arrêté litigieux est entaché d’excès de pouvoir » .

(CAA Bordeaux, 27 avr. 2004, Ville de Bordeaux, n° 03BX76000)

– « Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les risques d’atteinte à l’ordre public liés à la pratique de la mendicité, sous quelque forme que ce soit, présentaient à Boulogne-sur-Mer un degré de gravité tel que son interdiction, sous toutes ses formes, y compris paisibles, s’avérât nécessaire sur l’ensemble des lieux énumérés et pour une durée de six mois, alors même que la commune serait une ville touristique ; que, par ailleurs, peu d’incidents liés à la seule mendicité étaient signalés à la date de la décision attaquée ; qu’ainsi, comme l’a retenu le Tribunal administratif de Lille, la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen est fondée à en demander l’annulation » ;

(CAA Douai, 13 novembre 2008, n° 08DA00756)

– « D’une part, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté par lequel le maire de la commune de Metz a interdit la mendicité de 9 heures à 19 heures du lundi au samedi dans certains secteurs de la commune n’est ni nécessaire ni proportionné aux atteintes portées à la liberté d’aller et venir est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision » . 

(TA Strasbourg, 2 février 2021, n° 2100209)

Il ressort de la jurisprudence un faisceau d’indices quant à la légalité de l’arrêté anti-mendicité :

  • – les arrêtés de portée générale et absolue sont systématiquement annulés, puisque le juge administratif considère qu’une mesure moins restrictive de liberté dans l’espace ou le temps aurait nécessairement pu être prise ;
  • – la simple limitation de l’interdiction ne garantit aucunement la légalité de l’arrêté. Encore faut-il que l’interdiction soit justifiée par la réalité d’un risque d’atteintes au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques. 

Mais alors, que faire ? Comment lutter contre les troubles à l’ordre public ?

Il faut toujours garder en tête qu’en soit un arrêté anti-mendicité n’est pas illégal. Il doit, cependant, être strictement justifié.

Ainsi, la légalité d’un tel arrêté anti-mendicité repose sur les circonstances locales qui justifient une telle restriction de liberté.

La commune doit être capable de pouvoir justifier en quoi il existe un réel trouble à l’ordre public, un réel risque d’atteintes au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques. 

Le trouble à l’ordre public doit, non seulement, être clairement identifié et défini, mais surtout la mesure de police prise doit être proportionnée au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public.

C’est précisément ce que rappelle le Conseil d’État dans un arrêt du 16 juillet 2021 :

« Les dispositions de l’article 1er de l’arrêté attaqué prohibent comme étant de nature à porter par soi-même atteinte à l’ordre public le seul fait de laisser plus de deux chiens stationner, même temporairement, sur la voie publique, ainsi que, de manière générale, le fait pour un groupe de plus de trois personnes d’émettre des bruits de conversation et de musique  » audibles par les passants « , sans en préciser la durée ni l’intensité. Les mesures ainsi édictées par l’arrêté litigieux pour une durée de trois mois, sans aucune limitation de plage horaire et tous les jours de la semaine, dans un vaste périmètre géographique correspondant à l’ensemble du centre-ville de la commune, doivent être regardées, alors même que la commune de Saint-Etienne invoque une augmentation de la délinquance et des incivilités dans son centre-ville, comme portant, du fait du caractère général et absolu des interdictions ainsi prononcées, une atteinte à la liberté personnelle, en particulier à la liberté d’aller et venir, qui est disproportionnée au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public poursuivi »

(CE, 16 juillet 2021, n° 434254).

Autrement dit, nous conseillons :

– dans un premier temps, de bien identifier et définir les troubles au regard des données locales concrètes :

=> nature des troubles à l’ordre public ;

=> zones où les troubles se manifestent ;

=> périodes (plages horaires, jours, vacances scolaires, … ) durant lesquelles les troubles se matérialisent.

Des rapports de la police municipale par exemple, étayant les données concrètes fondant l’arrêté, sont un plus pour défendre en cas de contentieux.

– dans un second temps, d’édicter l’arrêté strictement proportionnel pour lutter contre les troubles à l’ordre public afin d’éviter toute atteinte excessive à la liberté personnelle.

En présence d’un arrêté anti-mendicité, le risque contentieux est fort, d’autant plus que le juge administratif développe une jurisprudence très libérale s’agissant de l’intérêt à agir des association de lutte contre la précarité (en ce sens CE, 4 novembre 2015, n° 375178 ou encore TA Paris, 25 janvier 2018, n° 1605926).

Dans ce contexte, notre conseil : toujours être mesuré, bien motiver l’arrêté, se ménager des preuves étayant les circonstances locales invoquées…et faire relire son avocat !

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