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La vente à l’euro symbolique d’un terrain municipal à un OPH est-elle possible ?

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La vente d’un terrain municipal à l’euro symbolique est-elle possible ? Voilà une question récurrente.

Il s’agit d’un moyen couramment utilisé par le conseil municipal pour favoriser un projet présentant un intérêt général ou tout simplement de se libérer d’un foncier sans intérêt majeur. Cette décision de gestion domaniale n’en demeure pas moins risquée.

D’autant plus que la vente à l’euro symbolique ou à vil prix d’un terrain municipal n’est possible que dans certaines situations. 

L’article L. 3211-14 du code général de la propriété des personnes publiques précise que « les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics cèdent leurs immeubles ou leurs droits réels immobiliers, dans les conditions fixées par le code général des collectivités territoriales ».

Si le code général des collectivités territoriales régit les aides immobilières locales faites aux entreprises, la jurisprudence est venue, quant à elle, préciser le régime de la vente à l’euro symbolique des terrains municipaux, tout en considérant qu’une tel rabais sur le prix de vente constitue une aide d’État (article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales).

Le principe : la vente à l’euro symbolique d’un terrain municipal est prohibée

L’interdiction des ventes de biens de la commune à vil prix, c’est à dire en deçà de leur valeur vénale, résulte de l’application du principe interdisant aux personnes publiques d’accorder des libéralités.

Le Conseil constitutionnel pose le principe de cette interdiction dans sa décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986.

Cette interdiction est systématiquement rappelée par le juge administratif visant « le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé » (en ce sens CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n°169473).

La vente à l’euro symbolique d’un terrain communal cependant possible sous certaines conditions

Il faut distinguer la situation des biens du domaine privé et du domaine public des communes.

La possible cession des biens du domaine privé communal à l’euro symbolique

En premier lieu, la jurisprudence administrative encadre la vente des biens du domaine privé à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé.

En l’occurrence, la commune peut céder ses biens immobiliers appartenant à son domaine privé pour un prix inférieur à sa valeur vénale, « lorsque la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général, et comporte des contreparties suffisantes »  (CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n°169473 ; CE, 25 novembre 2009, Commune de Mer, n°310208CE, 14 octobre 2015, Commune de Châtillon-sur-Seine, n°375577).

Ces deux conditions, à savoir le motif d’intérêt général et les contreparties suffisantes, sont réunies, par exemple :

-> pour la cession de terrain autorisée par la délibération car, en contrepartie, l’entreprise s’engage à créer cinq emplois dans le délai de trois ans. Cet engagement était assorti, en cas d’inexécution, de l’obligation de rembourser à la commune le prix du terrain tel qu’il a été évalué par le service des domaines à l’époque (CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, n°169473) ;

->  pour la cession d’un ensemble immobilier à des associations culturelles, éducatives et sportives. L’objet de ces associations était de favoriser l’intégration et l’insertion de la population d’origine étrangère dans la commune. 

Le motif d’intérêt général est l’insertion des habitants au sein de la commune et le renforcement de la sécurité publique. 

La contrepartie suffisante est que la vente permet aux associations de mener à bien leurs projets et de disposer d’un lieu de réunion adapté à la réalisation de ceux-ci par sa dimension et ses accès (CE, 25 novembre 2009, Commune de Mer, n°310208).

En second lieu, conformément à l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, une vente à l’euro symbolique d’un terrain communal au profit d’une autre personne publique doit, également, être justifiée par un motif d’intérêt général et des contreparties suffisantes :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que la commune tirera de la construction de la piscine communautaire et de la réalisation du carrefour giratoire des avantages importants ; que si le prix de vente des parcelles est effectivement, pour l’une d’entre elle, symbolique, pour les deux autres, inférieur au prix du marché, le bénéfice attendu pour les habitants de la commune de ces équipements d’intérêt général est de nature à constituer une contrepartie suffisante à l’économie générale de cette cession ; que par suite, l’action envisagée par M. A ne présente pas un intérêt suffisant pour la commune » (en ce sens, CE 15 mai 2012, M. A. c/ Commune de Herlies, n° 351416).

Quid de la cession des biens du domaine public communal à l’euro symbolique ?

La question n’est à ce jour pas expressément tranchée.

Aux termes de l’article L. 3112-1 du code général de la propriété des personnes publiques :

« Les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1, qui relèvent de leur domaine public, peuvent être cédés à l’amiable, sans déclassement préalable, entre ces personnes publiques, lorsqu’ils sont destinés à l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public ».

Se pose, donc, la question de la transposition des principes tirés de la jurisprudence Commune de Fougerolles au cas de la cession entre personnes publiques de biens du domaine public à vil prix. 

Une réponse ministérielle écarte, a priori, cette possibilité (Rép. min. n° 38373, JOAN Q, 23 août 2016, p. 7525). Toutefois, aucune jurisprudence n’est citée pour étayer le propos. De même, le ministre n’était pas clairement interrogé sur la possibilité de procéder à de telles ventes symboliques.

En revanche, la jurisprudence du Conseil Constitutionnel admet la possibilité pour le législateur d’organiser le transfert à titre gratuit de biens du domaine public entre personnes publiques (décision n° 2009-594 du 3 décembre 2009, à propos de la loi prévoyant le transfert du Syndicat des transports d’Ile-de-France à la Régie autonome des transports parisiens des biens constitutifs de l’infrastructure).

Et plus récemment, le Conseil d’État, sans pour autant réellement se prononcer sur la légalité du transfert à titre gratuit, a pu juger que :

« La délibération du conseil municipal d’une commune autorisant, décidant ou approuvant le transfert de propriété de biens immobiliers relevant de son domaine public au profit d’une autre personne publique, dans les conditions mentionnées à l’article L. 3112-1 du code général de la propriété des personnes publiques, constitue un acte créateur de droits dès lors que les parties ont marqué leur accord sur l’objet et les conditions financières de l’opération et que la réalisation du transfert de propriété n’est soumise à aucune condition. Par suite, en jugeant que seul l’acte en la forme administrative ou l’acte notarié entérinant la cession amiable de biens du domaine public entre personnes publiques est créateur de droits » (CE, 29 juillet 2020, n° 427738).

Même si le juge administratif ne s’est actuellement pas encore prononcé, il est probable que les principes tirés de la jurisprudence Commune de Fougerolles s’appliquent, si :

-> la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général ;

-> la cession des contreparties suffisantes.

La mise en œuvre des conditions pour réaliser une vente à l’euro symbolique d’un terrain communal 

Le Conseil d’État a dégagé une méthode pédagogique permettant d’analyser  la légalité d’une délibération d’une commune autorisant la cession à une personne privée d’un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur (CE, 14 octobre 2015, n° 375577).

Dans un premier temps, il faut vérifier si la vente est justifiée par des motifs d’intérêt général.

Si c’est bien le cas, il appartient au juge, dans un deuxième temps, d’identifier, au vu des éléments du dossier, les contreparties que comporte cette cession. Pour se faire, le magistrat analyse « les avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s’assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ».

Dans un troisième temps, par une appréciation souveraine, le juge doit « estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé ».

Et, donc, la cession à l’euro symbolique d’un terrain communal en faveur d’un OPH

En mettant en œuvre les critères jurisprudentiels, la cession d’un terrain en vue de la réalisation de logements sociaux présente l’intérêt général nécessaire requis. L’intérêt général n’est pas automatiquement reconnu. Il faut examiner au cas par cas selon le projet envisagé. 

Le recours à un avocat sera utile pour déterminer si un motif d’intérêt général fonde la cession.

Une fois l’intérêt général de l’opération caractérisé, reste, donc, à déterminer si, de cette vente à vil prix, la commune et la population en tirent, également, une contrepartie suffisante.

Il est, également, difficile de se prononcer de manière abstraite.

La caractérisation des contreparties suffisantes ne peut que résulter de l’analyse des pièces.

On peut imaginer, par exemple, l’économie en construction de logements pour la commune carencée, ou d’amende que la commune n’aura pas à payer.

A ce jour, la jurisprudence ne s’est pas spécifiquement prononcée sur ce point. 

En revanche, dans une réponse ministérielle (publiée dans le JO Sénat du 24/01/2008 – page 155), le Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales précise que les communes peuvent céder des terrains à titre gratuit au profit des sociétés d’HLM, en contrepartie de la réservation de logements sociaux, à hauteur de 20 % de la totalité des logements construits.

Par extrapolation, cette solution peut être, aisément, transposée au cas des OPH.

Attention à bien être sûr de respecter les conditions et critères jurisprudentiels car les risques ne sont pas négligeables.

Attention également, il faut veiller à ne pas tomber dans un marché public ou une concession, si l’opération répond à un besoin de la personne publique.

Une cession à l’euro symbolique irrégulière : quel risque ?

En cas d’illégalité de la cession d’un terrain communal à l’euro symbolique outre le risque administratif, soit l’annulation de la délibération du conseil municipal autorisant la vente ou le risque judiciaire, soit l’annulation de la vente, il existe toujours un risque financier.

En effet, conformément aux dispositions de l’article L.1511-3 du code général de la propriété publique des personnes publiques, une réduction sur un prix est considérée comme une aide d’État.

L’article 3 du règlement n°1407/2013 de la commission dispose que :

« 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du traité et comme n’étant pas soumises, de ce fait, à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du traité, les aides qui satisfont aux conditions énoncées dans le présent règlement.

2.   Le montant total des aides de minimis octroyées par État membre à une entreprise unique ne peut excéder 200 000 EUR sur une période de trois exercices fiscaux (…) ».

Ainsi, sauf à être sous le plafond des aides de minimis, le rabais doit être notifié à la commission européenne, sachant que la notification suspend le versement de l’aide.

En tout état de cause, si l’aide est déclarée illégale, le risque est la contrainte de remboursement de l’aide, avec possible paiement d’un complément censé retracer les intérêts qui auraient été payés sur le marché bancaire. Ces différents risques ne doivent pas être pris à la légère !

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